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Sans doute était-ce des cigales que son frère essayait d’attraper à un âge où Lindsey, elle, était plutôt dégoûtée d’en voir. Il marchait lentement entre les herbes hautes et jaunes, tentant d’être silencieux pour berner sa proie. Lindsey, elle, restait assise sur le rocher brûlant depuis où elle observait son frère avec dédain. Elle attrapa un long bâton et se mit à dessiner des vagues sur la bande de sable devant elle.
Lorsqu’il n’était plus dans son champ de vision, sa mère lui demandait où était son frère. Lindsey, en excellente position pour jouer les sentinelles, lui disait qu’elle le voyait, hors de danger. Sa mère pouvait alors continuer à flâner, allongée sur sa serviette.
Le bruit des vagues au loin et des cigales mettaient Lindsey de bonne humeur, elle chantonnait un air qu’elle avait entendu à la radio durant le trajet vers la plage quand un garçon s’approcha.
D’abord silencieux, il regardait attentif les vaguelettes qu’avait dessiné Lindsey sur le sable depuis son rocher. Lindsey s’aperçut très vite de la présence de l’intrus et s’arrêta dans son mouvement. Elle le fixait, intriguée.

Que lui voulait-il ? Il la regarda, il lui sourit. Lindsey resta sceptique.
Un peu découragée par un aussi peu chaleureux accueil, le garçon effaça son sourire. Il prit un autre bâton et dessina sur le sable à son tour. Il dessina des poissons entre les vagues de Lindsey puis entreprit de dessiner une baleine aussi grande que nature. Sans trop savoir pourquoi, Lindsey descendit du rocher et l’aida à dessiner cette énorme baleine qui, aux yeux d’un adulte ne l’était pas tant.


Lorsque sa mère leva les yeux pour savoir où étaient ses enfants, elle trouva Lindsey en train de construire un château de sable avec un autre enfant tandis que son fils aîné mettait autant de cigales qu’il pouvait dans un Tupperware vide. Et alors elle vit, elle qui avait eu si peur d’avoir à élever seule ses deux enfants, à quel point elle s’en était bien sortie. Ils se débrouillaient d’eux-mêmes. En les voyants comme ça, on les aurait crus à l’abri de tout. Satisfaite de ce qu’elle avait entrepris : fonder une famille et la voir s’épanouir ; elle s’approcha de son fils, l’aidant avec ces cigales puis tous les quatre firent le plus grand château de sable que ces enfants avaient jamais vu.

 

Quelque chose lui chatouillait le pied, elle fronça les sourcils et se réveilla d’un coup. Le chien léchait son pied, l’air heureux. Lorsqu’elle se releva, il se mit à courir autour d’elle et à bondir, puis il courut au loin, aboyant. Il revint quelques minutes plus tard, Sofia le suivait.
Ses longs cheveux flottaient avec la brise, elle semblait rayonner, baignant dans la lumière du soleil de midi. Elle marchait pieds nus, cette fois-ci encore. Elle s’approcha lentement, Lindsey ne bougea pas, c’était comme tenter d’apprivoiser une fée, elle ne semblait pas réelle. Sofia s’assit tranquillement après avoir saluée Lindsey, elle s’assit aussi, le chien les suivit.
Lindsey lui proposa de manger, elle accepta, avouant qu’elle n’avait pas déjeuné ce matin. Lindsey lui servit du poulet et des pommes de terre frites, se servit à son tour, sans oublier d’en donner au chien.
Elles mangèrent en silence, l’air paisible. De temps à autre, une forte brise venait jouer avec leurs cheveux, elles souriaient gentiment, les glissant derrière l’oreille. Lindsey avait fini depuis un moment, elle regardait Sofia manger, elle n’osait rien faire. Comment entamer une conversation ? De quoi pourrait-elle parler ? C’est vrai qu’elle pouvait lire sur ses lèvres, mais…

- Quoi ? J’ai de la mayo sur la figure ?


Face au regard à la fois étonné et insolent de Sofia, Lindsey secoua vivement la tête en guise de négation. « Je me demandais ce que tu fais ici… » Osa-t-elle murmurer. Elle s’étonna d’avoir essayé de dire ça. Sofia but une longue gorgée de jus d’orange et sourit, le regard absent.


- Je fuis.
« Qui ? »
- L’homme qui m’aime.
« Je ne comprends pas ».
- Ma mère est morte il y a peu. Mon père…est carrément brisé, il sait plus quoi faire. Un de ses frères lui a proposé de passer du temps chez eux, ici. Et moi…moi, ça m’arrangeait en fait. Je crois que je suis pas prête …pas encore…

 

Elle avait un sourire si triste…Tout son visage exprimait tristesse et nostalgie, elle remuait la tête inconsciemment, comme pour nier ses sentiments. Elle fuyait qui ? Pourquoi ?
Lindsey s’approcha d’elle et releva son menton, elle lui sourit.

- Je ne sais pas pourquoi je te dis ça…
« Tu peux me parler. Je t’écoute. Je ne peux faire que ça, de toutes façons ».
- Ce n’est pas vrai, moi je t’entends…Tu peux me parler de toi ! Toi, qu’est-ce que tu fais ici ?

Devant sa maladresse pour changer de sujet, Lindsey fut un peu choquée. Elle trouvait cette façon de communiquer très bizarre, elle mimait des mots, comme si on avait appuyé sur le bouton « mute ».

« Moi ? Je…Je crois que je fuis aussi. Ça fait des mois que je ne peux plus parler à cause…à cause d’un choc assez important. Les médecins ne peuvent rien y faire, ils disent que c’est psychologique. Alors ma mère m’a envoyé ici, me reposer ».

Après un moment, Sofia s’exclama :


- Bah, on peut au moins se consoler de s’être bien trouvées !

 

Et Sofia éclata d’un rire, un rire triste et un peu forcé, mais un rire qui réchauffa le cœur de Lindsey. Elle avait perdu quelqu’un, et elle arrivait à rire. Peut être que Lindsey y arriverait aussi, un jour.
Sofia lui proposa de s’allonger, elle allait lui raconter une histoire. Lindsey lui répondit qu’elle adorait les histoires et s’allongea aussitôt, un large sourire sur ses lèvres, les yeux fermés.

Postée le 10 Janvier 2013

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