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Lindsey n’avait aucune idée de comment elle allait passer ses journées. Son premier jour s’était passé très vite, elle avait marché, elle s’était endormie puis elle avait vue une femme danser. A présent, assise au pied du lit, elle ignorait comment elle allait s’occuper. Il pleuvait alors se balader n’était plus une possibilité. La campagne, c’était bien beau, mais le temps est tristement long lorsqu’on est seule.
Car lorsqu’elle était seule, Lindsey pensait à lui. A tout ce temps passé avec lui et au temps qui passait sans lui. Elle avait parfois besoin de ce temps figé, de cette bulle coupée du monde, remplie de beaux souvenirs, précieux et tristes à la fois.
Elle n’arrivait plus à dessiner. La page blanche l’effrayait dans son vide, sa nudité. Elle ne voulait rien dessiner.
Elle voulait entendre encore son rire, tenir sa main une fois de plus, sentir sa peau contre la sienne, être à l’abri une dernière fois auprès de lui.
Elle culpabilisait de ne pas pleurer. Elle avait très mal au ventre et aux yeux, ça piquait, mais aucune goutte ne s’y aventurait.


Les genoux plaqués contre sa poitrine, Lindsey écoutait le CD préféré de ce garçon qui n’existait plus. Elle avait mal à la tête, la tristesse l’étouffait, elle avait un nœud à la gorge. Mais toujours pas de larmes.
Les gens pensaient alors que pendant tout ce temps elle avait été insensible, qu’elle ne l’avait jamais aimé. Puisqu’elle n’était pas venue aux funérailles, puisqu’elle ne semblait pas affligée pas sa perte, peut être qu’elle n’avait été avec lui que par intérêt ?
Mais Lindsey se fichait bien de ce que pouvaient penser les autres, elle savait ce qu’elle avait ressenti, ce qu’elle ressentait encore, c’était tout ce qui comptait. Elle n’était pas douée pour montrer ses sentiments, les exprimer, il le savait et il l’avait accepté. Il comprenait les maladresses de Lindsey, ses gestes titubants mais pleins de franchise, son insolence naïve. Elle était brute de ne pas savoir aimer et lui, il avait réussi à la canaliser. Qui allait la soutenir à présent ? Qui l’aiderait à exprimer ce qu’elle ressentait ? Sa tête allait exploser de toutes ces questions à jamais sans réponses, de tous ces souvenirs encore récents et acérés, de toute cette peine à n’en plus savoir que faire.

 

Il pleuvait des cordes dehors. La pluie tambourinait la fenêtre. Peut être que le ciel pleurait pour elle ? Elle trouvait alors normal qu’il pleure si fort, à en inonder le village, le raser de la carte.
Tout à coup, on frappa à la porte, le chien se précipita sur Lindsey à peine fut-elle ouverte. La Tante Rose déclara :

« Il n’arrêtait pas de gémir devant la porte d’entrée. Je ne veux pas qu’il monte sur le lit ». Puis, elle ferma la porte.


Constatant qu’il était complètement trempé, Lindsey se glissa dans la salle de bains, cherchant une serviette pour sécher le chien. Elle doutait que La Tante Rose apprécie le geste, mais elle s’en fichait pas mal. Elle n’avait qu’à pas laisser la pauvre bête dehors sous cette pluie.


Il attendit sagement qu’elle l’ait bien frotté, pour qu’il soit le plus sec possible, avant de se blottir contre elle. Elle le caressa rêveusement, assise contre le lit à même le sol. Elle n’avait pas envie de dormir, il n’y avait pas grand-chose pour s’entretenir chez La Tante Rose alors elle se mit à relire son livre favori. Celui qu’il lui avait offert pour ses dix sept ans. Il était usé d’avoir trop servi. Elle l’apportait partout où elle allait, à l’abri, au fond de son sac fétiche, parmi toute sa « panoplie de premier secours ». C’était ainsi qu’elle appelait tout le bric à brac dans son sac. Des bonbons, son lecteur de musique, des petits livres, un carnet de notes, son appareil photo, une boîte de pansements et des cachets d’aspirine. Il y avait aussi son portefeuille et un autre petit carnet, tous deux remplis de photos, des écrins à souvenirs. Parce qu’elle avait peur d’oublier, elle les feuilletait souvent et ne les enlevait jamais du sac, fusse-t-il rempli au point d’exploser. Elle ne se séparait jamais de ce sac.

 

Elle ferma le livre ; trop de souvenirs noyaient son crâne lorsqu’elle le lisait longtemps. Elle changea de disque et tenta un raid discret vers la cuisine. La Tante Rose regardait un jeu télévisé, elle tricotait. Lindsey profita de ce moment d’inattention pour prendre de quoi grignoter pour elle et le chien et, aussi rapide qu’une souris grappillant dans un cellier, retourna dans la chambre les bras chargés de provisions. Le chien la félicita, léchant ses genoux et tentant de la mettre à terre. Elle résista puis s’assit sur le sol, le chien fit alors de même et attendit qu’elle lui donne sa part du butin.
La bouche pleine de pain au chocolat, son regard se posa hasardeusement sur la fenêtre mitraillée de goûtes. Sur le sentier, quelqu’un marchait. Elle put seulement distinguer un parapluie rose dans l’averse, mais elle ne put s’empêcher de penser à la danseuse.
Était-elle du village ? Peut être que, comme Lindsey, elle était seulement de passage pour l’été ? La reverrait-elle ? Qui était-elle ?
C’était la première fois depuis des années, que quelqu’un l’intriguait autant. La dernière personne à avoir reçu ce genre d’intérêt n’était plus là pour la tenir dans ses bras, alors elle s’accrochait au souvenir de cette danseuse. Elle, était en vie.
Le chien se léchait les babines pour appeler l’attention de Lindsey, qui lui redonna une autre tranche de jambon et se resservit à son tour. Elle jeta un coup d’œil à l’horloge digitale de la chaîne Hi Fi, bientôt La Tante Rose ferait à manger, il fallait remettre en place tout ce qui restait du pique-nique improvisé.

 

La tante Rose l’appela pour mettre la table, elle griffonna sur son carnet pour lui demander si le chien pouvait dormir dans sa chambre. Elle semblait plutôt réticente, elle grimaça avant de grommeler :

« Tant qu’il ne monte pas sur le lit… », Ce à quoi Lindsey secoua la tête en signe de négation, dans un large sourire.

« Et je suppose qu’il faudra que je lui fasse à manger, puisqu’il te colle aux basques ? ».

Lindsey haussa les épaules et sourit. Elle embrassa sa tante et mit la table.
Le chien eut droit à la même soupe chaude que Lindsey, mais pas aux côtes de porc et aux frites. La Tante Rose lui donna les restes d’hier.
Comme elle avait bien mangé, Lindsey écrivit « merci » sur son carnet et le montra à sa tante. Elle lui rendit un petit sourire et la laissa quitter la table, lui souhaitant une bonne nuit, à elle et au chien.

Malgré le fait qu’elle avait très envie de s’emmitoufler dans les draps épais avec le chien, elle ne brava pas l’interdit de sa tante et lui installa une niche de fortune au pied du lit. Tous deux s’endormirent très vite, malgré l’orage qui grondait dehors.

Dans la voiture, sur le chemin vers la maison après une longue visite aux grands parents, Lindsey et son frère, sur la banquette arrière, regardaient les éclairs tomber au loin. Il avait beau être très tard dans la nuit, le sommeil était la dernière chose qui pouvait leur arriver en ce moment précis. C’était des « woah », des « ooh », les yeux grands ouverts à guetter la corde électrique qui serpentait au hasard dans l’horizon.
Sa mère, en jetant un coup d’œil sur son rétroviseur, les voyait ; ou elle voyait plutôt leurs dos, vu qu’ils étaient tournés vers la vitre arrière. Ça la fit penser à deux chiots appuyés contre la vitrine de l’animalerie où ils étaient exposés. « Adoptez-moi ! », crieraient-ils alors, remuant la queue. Et elle ne put s’empêcher de sourire, un sourire nostalgique, ses deux enfants de six et huit ans bientôt en feraient vingt, trente et, un jour, elle ne les verrait plus grandir du tout…
Et l’orage grondait autour d’eux, la route semblait infinie, le temps s’était arrêté, ils auraient pu rouler plus loin encore que la maison, se laisser tromper par la nuit et la foudre, et se dire que c’était une nuit magique qui n’en finirait pas. Mais Lindsey et son frère s’endormirent, le sourire aux lèvres, et sa mère laissa couler une larme, sans trop savoir pourquoi.

Postée le 23 Décembre

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