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Il l’emmena dans des lieux où elle n’était jamais allée. Il lui fit rencontrer des gens qu’elle n’aurait jamais abordés seule. Et, de son côté, elle rencontra des gens qu’elle n’aurait jamais pu rencontrer avant. Car elle n’était plus seule, depuis qu’elle le connaissait. Elle appréciait le nouveau goût du mot « amis », riant, pleurant parfois, apprenant, vivant.
Lors de ces longues soirées à boire, fumer, rire et refaire le monde. Dans ces éclats de rires et discours de jeunes idéalistes, elle se sentait chez elle et riait avec les autres, elle faisait partie de ces autres.
Ils rentraient ensemble, se tenant mutuellement, pariant dans leurs têtes que l’un était plus sobre que l’autre, commentant untel ou untel sur son comportement particulier durant la soirée. Parfois, il dormait chez elle ou c’était elle qui allait chez lui. Puis, certaines fois, elle restait quelques jours de plus, ou il était invité à passer les vacances avec la famille de Lindsey.
Ils grandissaient l’un à travers l’autre.


Lindsey ouvrit les yeux en plein milieu de la nuit. Le noir absolu lui donnait l’illusion de ne pas les avoir ouverts, mais le murmure de ses yeux clignant la ramena à la réalité. Rapidement, le noir devint pénombre puis juste sombre. Elle distingua les meubles, ses affaires et la porte, ainsi que la fenêtre. La lune brillait entre les nuages voyageurs, qui de temps à autre couvraient son visage.


Elle se leva et sortit de sa valise un gros pull au hasard. Sur la pointe des pieds elle alla dans le jardin, son paquet de cigarettes à la main. Elle s’assit sur la chaise de jardin la plus proche et sèche, alluma sa cigarette pour ensuite recracher une longue bouffée. Le ciel était parsemé d’étoiles, un toit immense sur sa tête. Les bruits de la nuit la firent sourire, tandis qu’elle tentait de se souvenir de son rêve, pensant que c’était la raison de son réveil prématuré. Le chien s’approcha d’elle dans la pénombre et posa doucement son museau sur ses genoux. Elle caressa sa tête, puis, elle remarqua de la lumière dans certaines maisons. Elle pensa que certains avaient peut être du mal à dormir, comme elle ; et pensa à Sofia qui devait être dans l’une de ces maisons, sans doute.
Elle avait dit qu’elle aussi était en vacances, chez de la famille à son père. Elle allait rester ici au moins trois mois, parce que son père était malade. Elle avait dit qu’elle serait là bas demain, Lindsey se demandait ce qu’elles allaient bien pouvoir faire. Elle réfléchissait au panier repas qu’elle pourrait préparer. Reposant sa tête sur sa paume emmanchée, elle sentit une odeur particulière qui la fit sursauter.
Elle regarda son pull qui lui allait trop grand et le reconnut, elle avait enfilé sans savoir un pull qu’il avait oublié chez elle. Sa mère avait sûrement du le mettre dans son sac à son insu. Car Lindsey était persuadée de l’avoir enfoui tout au fond de sa montagne à vêtements, dans le but de ne pas le revoir avant un moment. Elle avait l’habitude de le porter lors qu’il était encore là. Lors de ces semaines où ils ne se voyaient pas ou peu, où il lui manquait, elle dormait avec son odeur imprégnée dans ce morceau de tissu en laine.
Ses yeux se mirent à lui piquer et elle se mentit à elle-même en se disant que c’était la fumée qu’elle s’était prise dans les yeux, tandis que son ventre la tourmentait. Elle souhaita une bonne nuit au chien et retourna se coucher, après avoir jeté le mégot dans la poubelle de la cuisine, attrapant une mousse au chocolat au passage.

 

Lindsey avait eu un chien lorsqu’elle était petite. Elle ne se souvenait plus ce qu’il était devenu, mais elle se rappelait avoir supplié et insisté pour en avoir un. Un jour, son père l’avait fait asseoir sur ses genoux, l’air sérieux. Il avait commencé à parler responsabilités et engagement. Il s’adressait à son enfant comme à un adulte. Et Lindsey, fière de ce traitement de faveur, se sentait mûre et responsable. Elle l’écoutait, aussi sérieuse que lui et hochait la tête, les yeux pétillants de ce moment où son père lui parlait comme on parle à une grande. Une fois sûre qu’elle avait bien compris ce dont il était question, il la reposa et ouvrit la porte du salon. Une toute petite boule noire se précipita alors vers sa fille, folle de joie.
Et son père, ce père qui allait prochainement quitter le foyer à jamais, cet homme qui allait bientôt devenir un fantôme, un de ces milliers de pères absents, était là, tenant toujours la porte entrebâillée, surpris par la beauté d’avoir un enfant. Il prit conscience, ce jour là, ce que c’était d’être père. Apprendre quelque chose à son enfant, le fruit d’un amour, et le voir grandir, une expansion de son être et à la fois un individu totalement indépendant de lui. Malgré lui, il regrettait déjà de partir. Il ne le savait pas encore, mais en son for intérieur, son intuition de père sans doute, il avait de la peine, de l’amertume à l’idée de se séparer de ses enfants. Il allait rater leur croissance, leur épanouissement dans ce vaste monde.
Mais être père ne lui suffisait pas. Il avait des projets, et ses enfants n’en faisaient pas partie. Pourtant, ce jour là, il fit le choix de mettre de côté ses plans, pour quelque temps encore. Le temps de regarder sa petite fille jouer avec son chien. Pour quelque temps, être juste un père pour ses enfants.


« Comment tu vas l’appeler ? »


D’où provenait ce bruit ? Ça l’avait réveillé. Elle tâtonna sur la table de chevet et trouva son téléphone qui sonnait. Elle avait mis le réveil ? Elle ne s’en souvenait pas. Elle plissa les yeux devant le petit écran de son portable. Il affichait une petite cloche qui s’agitait à côté d’un prénom et d’une date, en dessous, une bougie et un chiffre en rouge la mirent sur la voie. Elle éteignit l’alarme. Son anniversaire. La journée commençait bien. Quelle idée de mettre une alarme. Elle fut prise d’une terrible pulsion qui consistait à jeter l’appareil à travers la pièce, mais elle refréna cette envie.


Elle se traîna vers la cuisine, La Tante Rose, qui ne s’attendait pas à un réveil aussi matinal, préparait le déjeuner. Le lait était sur le feu et elle faisait des crêpes. Elle lui expliqua que ce ne serait pas prêt avant un moment, aussi Lindsey alla dans le jardin où le chien la rejoignit. Elle fit les cent pas le long de la clôture. Elle était contrariée, elle savait pourquoi. Elle savait très bien que ce n’était pas rationnel comme réaction, mais que pouvait-elle y faire ? Il n’était plus là pour la calmer, la rassurer, elle avait désespérément besoin qu’il la prenne dans ses bras. Mais il n’était plus là. Le chien gémit, réclamant de l’attention, elle le caressa, absente, il bondit alors sur elle et la fit tomber sur l’herbe. Il s’allongea sur elle et commença à lui lécher le visage avec enthousiasme. Cela surprit tellement Lindsey qu’elle eut envie de rire, même si aucun son ne sortit de sa bouche. Elle le prit dans se bras et le chien remua la queue tentant de lui lécher la joue.
La Tante Rose vint la chercher pour qu’elle vienne déjeuner. Elle se délecta de crêpes à la confiture et au sucre, un grand sourire sur ses lèvres collantes de sucre et de fraise.


Comme il était encore trop tôt, Lindsey tua le temps dans le jardin plutôt que d’aller dans la plaine. Sofia n’y serait sûrement pas avant midi. Elle commença le livre que son grand frère lui avait conseillé, c’était sa seule échappatoire, tout le reste le ramènerait à lui. Un peu avant onze heures, elle prit une douche puis, La Tante Rose lui avertit qu’elle allait s’absenter pour l’après midi. Elle en profita pour préparer tranquillement un meilleur panier repas que la veille, avec une tarte aux pommes, du poulet frit et des patates sautées.
Lindsey adorait cuisiner. Mais plus que cuisiner, c’est cuisiner pour quelqu’un qu’elle aimait le plus. Une de ces qualités qu’elle avait acquises grâce à lui.


Arrivée à la plaine, comme elle n’y vit personne, elle installa la couverture et s’y allongea. Le vent soufflait, pliant les ramures sous son passage, les faisant chanter. La vie semblait si belle, vue comme ça, la vie continuait, malgré tout… Le chien courrait après un papillon, Lindsey entendait des grillons au loin ; en fait, elle ignorait quel insecte c’était, elle entendait juste quelque chose cliqueter.

Postée le 30 Décembre

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