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La gare perdue dans la cambrousse où l’attendait sa tante, était déserte. La gare était constituée que d’un quai et d’un guichet, la ligne du train traversait la campagne discrètement ; on voyait la route serpenter derrière, disparaissant après une colline. Sur le quai, attendaient sa tante Rose et un grand chien noir, un labrador à poil long, assis à sa droite, immobile. Il n’y avait aucun autre son que celui du train partant vers une autre gare.
Tante Rose prit son sac de voyage et le chien les suivit jusqu’à la voiture. Elle ouvrit la portière arrière pour mettre le sac sur la banquette et le chien s’installa, elle grommela et jeta au chien un regard noir, il remua la queue et émit un couinement timide. La Tante Rose sembla hésiter un instant puis jeta le sac sur la banquette, ferma sèchement la porte et rentra dans le véhicule. Elle ouvrit la porte de devant côté passager pour Lindsey et démarra la voiture.


Même si elle aurait pu parler, Lindsey n’aurait rien dit de tout le trajet. La Tante Rose était concentrée sur la route et le chien haletait de temps à autre pour enfin s’endormir. Lindsey regardait la campagne défiler et le soleil se coucher. La route fut longue, c’était la seule gare à des centaines de kilomètres à la ronde.
Il était trop tard pour dîner lorsqu’elles arrivèrent, Tante Rose lui proposa d’aller se coucher. Elle lui montra sa chambre et l’aida à faire le lit. Comme dans toute grande maison, il y avait plusieurs chambres d’amis, aux lits surfaits. Trop de cousins, trop de draps, juste pour rendre le lit plus agréable à regarder. Après avoir enlevé tous les coussins en trop sa tante lui souhaita une bonne nuit et alla se coucher. Lindsey se glissa alors sous la couette glacée lentement, tout était froid, comme immaculé et neuf. Aussitôt qu’elle posa sa tête sur l’immense oreiller en plumes, elle se noya dans un sommeil abyssal.
L’ennui avec ce genre de sommeil, c’est que, au réveil, on a l’impression d’avoir dormi à peine cinq minutes ; il était pourtant bien midi lorsque sa tante frappa à la porte pour lui annoncer que le petit déjeuner était prêt.


Lindsey s’habilla et rejoignit sa tante, qui était occupée à faire chauffer le lait sur une plaque électrique couverte de graisse. La cuisine paraissait très rustique par le désordre qui y régnait et le sol en briques. Les murs en pierre et en poutres de pin odorants rappelaient à Lindsey les vieux souvenirs de ses rares vacances en ces lieux. Elle déjeuna avec le sourire, du chocolat chaud avec des tranches pain chaud et croustillant abondamment tartinés de confiture.

Lorsqu’elle avait sept ans, sa mère les emmena, elle et son frère aîné, rendre visite à sa tante et son oncle, qui était mourant à l’époque, dans cette même demeure. Elle était très excitée à l’idée de voir son oncle et sa tante, sa mère lui avait remplie la tête d’anecdotes à leur sujet, elle se les imaginait souriants et pleins de vie. Elle fut surprise et un peu déçue devant cet oncle Jon alité et à peine conscient, assistée par tout un tas de branchements et de tuyaux. La tante Rose avait déjà perdu son sourire d’or, ce sourire dont était tombé amoureux l’homme qui était sur ce vieux lit, à bout et bientôt mort.
Sa mère voulait que ses enfants voient son frère avant qu’il ne meure, avait-elle expliquée à la tante Rose. Elle ignorait alors que ce fut le début des « crises de silence » de sa fille. Devant l’homme ridé mais pas vieux, mourant mais pas mort, Lindsey était à la fois pétrifié et intriguée. Elle s’approchait de lui tandis que sa mère parlait avec sa tante dans la pièce à côté, son frère quant à lui, se contentait d’attendre sur le seuil. De sa petite main tremblante, elle toucha la joue de son oncle, celui-ci se réveilla, lentement tourna son visage vers elle et lui sourit.


« Comme tes yeux rayonnent, mon petit…Comme ceux de ta mère… »

Voilà ce qu’il lui dit, puis il referma les yeux et, dans un sourire placide, il mourut. Témoin malgré elle de la mort de son oncle, homme qu’elle n’avait jamais rencontrée jusqu’alors, Lindsey en fut terriblement traumatisée et ne dit mot jusqu’à leur retour a la maison. Ce fut la première fois qu’elle se terra dans le silence ; une première fois absolument pas remarquée, car jusqu’à son adolescence, Lindsey fut une enfant très silencieuse. En y réfléchissant, depuis ses sept ans jusqu’à ses douze ans, elle n’avait peut être pas parlé du tout ? Ce mutisme chronique faisait-il partie d’elle ? Peut être était-il progressif et au final, elle resterait muette jusqu’à la fin de sa vie…


Elle se ressaisit assez vite. La maison dégageait une ambiance chaleureuse, il était impossible de s’attrister longtemps, il suffisait de regarder autour de soi les murs, le plafond, le sol et on ressentait l’amour et la chaleur humaine qui en provenait. C’était le cliché même de la maison de campagne où l’on venait se ressourcer d’air pur et de vent calme.

Une dizaine de tartines et deux chocolats chauds plus tard, La Tante Rose lui proposa de profiter de cette journée ensoleillée pour aller se balader. On ne reste pas enfermée avec une journée pareille à ton âge, s’était-elle exclamée. Lindsey entreprit donc de faire un tour aux alentours, se perdre un peu dans les pâturages et les champs de fleurs sauvages ; elle prit son appareil photo pour enfermer sur le papier glacé la beauté transcendantale du paysage.
Lindsey n’était ni une file des villes ni une fille des champs. Lorsqu’elle pensait à son avenir, elle s’imaginait vivant dans une maison entre la ville et la campagne. L’idée de passer sa vie dans un appartement lui donnait des nausées ; elle avait besoin d’espace pour vivre, ne pas avoir l’impression d’être dans une boite en carton, entourée d’oreilles curieuses.
Mais vivre à même la cambrousse était aux yeux de Lindsey une vie d’ermite. Elle aimait le mouvement, l’activité, savoir qu’elle avait un centre commercial à dix minutes de chez elle la rassurait. La ville était un point de repère, la campagne, un point de repli.


Elle avait toujours rêvé d’une grande baie vitrée, baignant la maison toute entière de lumière brute. Le foyer de ses rêves était déjà bâti dans un coin de sa tête, en haut d’une colline herbeuse, comme celle de La Tante Rose. Il vivait déjà dedans.

Lindsey sortit de la maison et trouva le chien allongé près de la porte, il se releva aussitôt qu’il la vit et lui emboîta le pas, remuant la queue. Lindsey ferma derrière elle le portail en bois peint de la clôture qui s’effrita un peu plus. Lentement, elle longea le sentier de terre battue qui menait au vieux village. Il n’y avait personne. Il n’y avait jamais personne. C’était comme si les habitants étaient tous privés de sortie en même temps, il y avait cette atmosphère de village puni. Une brise fit tressaillir Lindsey ; elle prit quelques clichés ci et là des maisons mortes et des plaines au loin, cultivées de blé et de maisons minuscules.
Le chien la suivait, lorsqu’elle s’arrêtait, il s’asseyait. Dans sa lente procession, photographique, elle se dirigeait peu à peu vers la forêt qui bordait la partie nord-est du village. Elle continua de photographier, le contre jour sur les arbres, le chemin qu’elle prenait, le village au loin. Elle prit même le chien en photo lorsqu’il s’assit en haut de la colline au bout du sentier. Le soleil, alors caché par de gros nuages blancs, l’illuminait discrètement, lui donnant un peu de sa majesté.
Lorsqu’elle arriva à sa hauteur, elle comprit pourquoi il s’était arrêté. Le chemin de terre s’arrêtait ici, offrant une vue d’ensemble sur une plaine habitée par les fleurs sauvages et les herbes hautes. Elle prit un autre cliché avant de s’allonger dans ce jardin de coquelicots et autres fleurs frivoles et estivales.

Posté le 15 Novembre

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