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Lindsey fut réveillée par la lumière du jour, regrettant d’avoir oublié de fermer ses volets la veille. Elle avait rêvé de voiture et d’orage, cette nuit là. Puis, l’odeur aguichante de lait sur le feu et du pain grillé la leva, le chien la suivit dans la cuisine.
Sa tante, le visage caché derrière son journal, lui dit bonjour et pointa du nez le petit déjeuner qui l’attendait. Elle avait même fait quelque chose à manger pour le chien.


« Aujourd’hui, je vais faire quelques courses » déclara-t-elle. « Je te laisse un double des clefs ; comme il fait beau, tu n’as qu’à sortir prendre l’air ».


Lindsey attendit que La Tante soit partie pour prendre une vieille couverture qu’elle plia du mieux qu’elle put et l’enfourna dans son gros sac. Elle prépara des sandwichs et deux thermos qu’elle mit dans un panier avec des pâtisseries et des fruits ; sans oublier son appareil photo. Elle prit ensuite la route qui menait à la plaine fleurie.

L’endroit était isolé, bordé par les arbres, ce qui donnait cette impression de jardin secret niché dans une autre dimension. L’orage d’hier n’était plus qu’un rêve, le soleil avait vite fait de sécher la terre ; quelques gouttes solitaires trainaient ca et la, sur une branche ou un pétale, prenant leur temps avant de s’évaporer.
N’ayant pas de montre, elle se fia au soleil pour conclure qu’il devait être aux environs de midi. Elle installa la couverture sur le sol, couchant ainsi un large carré d’herbe haute. Le chien s’y allongea aussitôt et Lindsey, après avoir tout installé, prit exemple sur lui.
Elle contempla le ciel. Longtemps. Elle prit quelques clichés puis reprit son observation intensive et flegmatique.

Vers l’âge de cinq ou six ans, Lindsey habitait à la campagne. Elle était une petite fille joviale et pleine d’énergie. Elle parlait vite et beaucoup, grimpant sur les arbres et s’écorchant les genoux. A l’époque, le père faisait partie de la famille. Mais lorsque Lindsey se remémorait cette période, il était dur pour elle de se souvenir de sa présence, de son visage, même. Elle se voyait, à table, à la droite de son frère et à la gauche de sa mère, mais le père, rien. Son cœur s’étouffait tout seul lors de ces exercices de mémoire, alors elle n’insistait pas.

Les beaux jours, sa mère lavait tous les draps dans une grande lessive de printemps. Même ceux qui n’avaient pas encore servi. Elle les étendait dehors sur deux longues cordes. Lindsey aimait se glisser dans ce couloir de draps qui se formait, dansant et riant, les effleurant de ses petites mains. Parfois, dans son élan, elle en faisait tomber. Mais sa mère ne la grondait pas et les remettait sur la corde, pour après se rasseoir sur la terrasse et la regarder faire, sirotant son thé, souriante. C’était une belle époque, une époque d’insouciance…


- T’as pas de maison ou quoi ?

Lindsey ouvrit les yeux, elle s’était endormie. Une voix inconnue l’avait réveillé ; avec le contre jour, elle ne sut distinguer le visage de la jeune fille qui était penché au dessus d’elle, les mains sur les hanches. En une fraction de seconde, Lindsey reprit ses esprits et comme premier réflexe, son corps choisit de se redresser brusquement et reculer comme un chat apeuré.


- Excuse-moi. Je t’ai fait peur ?


Lindsey secoua vivement la tête pour dire oui. La jeune fille rit. Comme il était beau son rire ! Ses longs cheveux d’un blond cendré coulaient sur ses épaules. Lindsey fut rassurée par son rire et s’assit normalement. La jeune fille la voyant soupirer de soulagement, sourit mais resta debout, les mains toujours sur les hanches.


- Alors ? T’as pas répondu. Tu n’as pas de maison, pour dormir ici tous les jours ?


Lindsey remua les lèvres par réflexe, mais aucun mot ne sortit. Elle voulut fouiller son sac, à la recherche de son carnet, alors que la jeune fille continua :


- Chez ta tante ? En vacances ?


Et Lindsey, hocha la tête, un peu décontenancé. Comment a-t-elle fait pour comprendre ? pensa-t-elle.


- Je…Ma mère était sourde, je sais lire sur les lèvres. Expliqua-t-elle timidement.


Lindsey lui sourit, elle tenta de parler. « Tu veux t’asseoir avec moi ? J’ai fait des sandwichs… » Aussitôt qu’elle voulut dire ça, elle fut déçue par le silence, mais la jeune fille sourit et accepta. Elle s’assit à côté d’elle et demanda ce qu’elle avait comme sandwichs. Lindsey sourit, du plus beau de ses sourires. Elle avait trouvé quelqu’un avec qui parler ! Et, en plus, elle était si jolie…


- Je m’appelle Sofia, au fait. Dit la jeune fille, la bouche pleine.
« Lindsey. Enchantée »
- Et le chien ? Il s’appelle comment ?
« Je ne sais pas, je n’ai pas demandé et La Tante Rose l’appelle jamais ».
- Je vois…Bah, il a même pas de collier…


Sofia, caressait le chien et lui grattait le cou. Puis, Lindsey haussa les épaules et tendit à l’animal un morceau de charcuterie qu’il avala presque d’une traite.


« Je l’aime bien quand même, pas besoin de savoir son nom ».

 

Après avoir mangé tous les sandwichs, pâtisseries et fruits –et il y en avait beaucoup- Lindsey et Sofia s’allongèrent sur la couette, le ventre bien rond d’avoir trop mangé. Lindsey, le visage tourné vers le ciel, entendit Sofia soupirer. Le vent soufflait doucement, remuant les cheveux et les fleurs. Le chien, repu lui aussi, haletait de son air placide. Il attendait.
C’est alors que Sofia chanta. D’une belle voix assurée, elle chanta une chanson que Lindsey ne connaissait pas. Elle était triste mais tellement belle. Et dans la voix de Sofia on sentait qu’elle vivait chaque mot qu’elle chantait, elle était cette chanson l’espace d’un instant. Lindsey se laissa porter, elle ferma les yeux, s’imaginant Sofia dansant sur la colline au son de cette chanson. Et ses yeux clos s’emplissaient de couleurs imaginaires, des rouges coucher de soleil, des bleus de nuit, mélangés au vert des prés de printemps.

L’été de ses dix sept ans, il avait réservé pour une semaine une chambre d’hôtel au bord de la mer. Il avait travaillé dur toute l’année pour avoir une chambre dans un hôtel quatre étoiles. Il y avait un balcon qui donnait sur la plage et sur des merveilleux couchers de soleil. Chaque soir, il sortait une couverture légère et quelques coussins qu’il mettait sur le banc en osier du balcon, tandis que Lindsey prenait sa douche. Il préparait un chocolat chaud et un café au lait qu’il posait sur la table basse. Puis, patient, il attendait qu’elle vienne le rejoindre.
Elle arrivait alors, seulement vêtue d’un débardeur et d’une culotte, s’emmitouflant dans ses bras et dans la couette, elle arrivait toujours à temps pour admirer le coucher de soleil du début à la fin. Ils n’en perdaient pas une miette. Ça commençait quand le ciel prenait ses teintes charnues puis c’était fini au moment ou il s’encrait de noir avec une pincée d’étoiles.


Ils buvaient leurs boissons chaudes en silence, Lindsey le chocolat et lui son café au lait. Parfois, ils parlaient de la beauté du monde et de son état éphémère Il disait alors que le monde était éternel tant que subsistait la mémoire, il parlait de ces choses qui avaient de l’importance même si elles pouvaient paraître futiles, ils philosophaient, ensemble retaillant l’univers selon leurs yeux, ensemble. Et un halo de fumée les entourait alors, prenant des reflets bleus sous la lumière électrique de l’hôtel. Elle se souvenait encore de cette sensation. L’impression que le temps n’avait pas cours, le sentiment d’être en sécurité et la certitude de ne manquer de rien. L’assurance de se croire immortels, invincibles.

Lorsque Lindsey ouvrit les yeux, le soleil se couchait, Sofia était debout et elle dansait. Ses pieds nus, pas de robe cette fois, mais une tunique qui gonflait lorsqu’elle tournoyait. Ses cheveux fouettaient l’air, elle levait les bras comme une danseuse étoile de sang gitan. Puis, elle finit par voir que Lindsey ne dormait plus et elle s’arrêta, souriante.


- Viens demain, ici. Je t’aime bien, on se reverra.


Et elle s’en alla. Lindsey resta un moment plantée là, à la regarder partir avant de ramasser ses affaires et rentrer à son tour. Sa tante venait à peine d’arriver, elle l’aida à ranger les courses, avec un grand sourire sur son visage qu’elle garda jusqu’au dîner.
Ce soir-là, La Tante mit le chien dehors, devant une assiette de croquettes. Lindsey n’insista pas, souhaita une bonne nuit à La Tante Rose et alla se coucher, pressé d’être à demain.

Postée le 26 Décembre

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